Cap_able Design X Elsa Leydier
Cap_able Design X Elsa Leydier
"Dans le noir sans lune, nous avons vu une quantité énorme de lucioles qui formaient des bosquets de feu dans les bosquets de buissons, et nous les enviions parce qu’elles s’aimaient, parce qu’elles se cherchaient dans leurs envols amoureux et leurs lumières.
(...)
De là, on voyait très clairement deux projecteurs très loin, très féroces, des yeux mécaniques auxquels il était impossible d’échapper, et alors nous avons été saisis par la terreur d’être découverts."
Pier Paolo Pasolini, Lettre à Franco Farolfi, janvier 1941
Quelques mois avant sa mort, Pier Paolo Pasolini convoquait à travers la « disparition des lucioles » un temps révolu; celui du ballet des vers luisants qui éclairait l’obscurité des nuits de la campagne italienne. Il met en parallèle la pollution environnementale qui menace le Vivant avec les changements politiques qui la provoquent — à une époque particulièrement marquée par l’arrivée du fascisme au pouvoir en Europe.
Les lucioles sont pour Pasolini l’allégorie de la beauté dans le monde, la possibilité de l’amour. Elles sont pour lui des résistances. Face à l’avènement du fascisme, de la société de consommation et de la société du spectacle qui se mettent en place simultanément, il lamentera leur disparition — tant d’un point de vue littéral (alors que leurs populations sont décimées par la pollution lumineuse et atmosphérique) que métaphorique; en ces temps sombres où la beauté, l’amour et la résistance semblent n’être plus que de bien faibles lueurs.
Cinquante ans plus tard, la présence et l’influence des images et des écrans dans notre vie sont chaque fois plus puissantes — la société du spectacle s’étant intrinsèquement imbriquée avec celle de la (sur)consommation. Si les technologies de l’image facilitent souvent notre quotidien, elles viennent cependant, parfois, renforcer les discriminations et les abus de pouvoir — notamment à travers les système de reconnaissance faciale. Les images et l’intelligence artificielle peuvent alors devenir des outils menant à des situations de danger et de violence, en parti- culier pour certaines catégories de personnes.
FIREFLIES IN THE ALGORITHM est une collaboration entre Elsa Leydier et Cap_able, marque italienne ayant mis au point des vêtements détournant l’attention des logiciels de reconnaissance faciale. Grâce à des motifs conçus par l’intelligence artificielle, les vêtements sont perçus par les dispositifs de surveillance comme des animaux, et évitent ainsi la collecte des données biométriques de la personne qui les porte.
Les pièces de Cap_able permettent de sensibiliser aux abus des dispositifs technologiques, mais aussi comme une possibilité de s’en protéger. La mode se fait résistance.
En faisant émerger des lucioles depuis nos dispositif d’images, il s’agit dans FIREFLIES IN THE ALGORITHM de retrouver l’espoir perdu par Pasolini.
Elsa Leydier s’est inspirée des principes d’un vêtement politique et résistant pour créer un ensemble d’images faisant écho aux valeurs et aux mécanismes mis en place par la marque.
En faisant s’entremêler plusieurs types d’imagerie (extraits de vidéos de caméras de surveillance, photographies numériques, photographies Polaroïd, photocopies, scans...), Leydier a souhaité rappeler la technique du jacquard, qui permet de tisser à l’aide de fils de plusieurs couleurs différentes, utilisée pour créer les pièces de Cap_able.
Les images de FIREFLIES IN THE ALGORITHM existent ainsi de manière indivi- duelle, mais également sous la forme d’une grille de vingt-sept images au format carré, venant former une seule et même image lorsqu’elles sont disposées sur un feed Instagram. Les deux strates de perception simultanées du travail font écho aux deux niveaux proposés dans les pièces photographiées: celui des logiciels de reconnaissance faciale, qui y voient une certaine information, et celui compris par l’œil humain qui y voit autre chose.
Enfin, de la même manière que Cap_able tient à toujours laisser le choix à ses utilisateur.ice.s (les pièces sont réversibles, avec une face trompant la reconnaissance faciale et une autre ne la trompant pas), il s’est agi dans FIREFLIES IN THE ALGORITHM de jouer le jeu et de suivre les codes des algorithmes, en s’insérant dans le flux d’images des réseaux sociaux, tout en y infiltrant des résistances, des bugs dans le système.
FIREFLIES IN THE ALGORITHM présente une mode politique, qui parfois peut sauver, mais qui permet aussi de baisser la garde lorsqu’on le peut. C’est une mode résistante qui vient se déployer parmi les images de notre quotidien, afin de repeupler de lucioles nos écrans.